dimanche 30 mars 2014

Lettre à toi qui n'a pas pu venir à la réunion publique du 28 mars 2014, à Saint-Jean de Braye...

Ça ne va pas être simple de te résumer cette soirée ! Trois intervenants, avec des exposés qui apportaient des éclairages différents et complémentaires sur ce sujet :
 

 Quels choix possibles pour ce bout de territoire situé à la Bissonnerie, à l'est de l'Agglomération orléanaise ?

Quels impacts aura le projet « Village Oxylane » et sa ribambelle de commerces, sur l'espace de vie des citoyens et sur le rôle des milieux naturels dénaturés par ce site de consommation, s'il devait voir le jour ?

Pour faire vite si tu es pressé, préserver cette zone en terre agricole ou naturelle apparaît évident, c'est la responsabilité des élus ! La confiscation des paysages et des espaces agricoles au profit de groupes financiers n'est pas inéluctable . Ce site a en plus la particularité d'être une zone humide pour au moins 12 hectares, donc protégé par la législation.

Pourquoi rien ne bouge ? Il faut que les citoyens se réapproprient leur territoire, leur paysage et leur pouvoir de décision ou de sanction à l'égard des élus. Des ponts sont à construire avec les agriculteurs du site, pour un aménagement durable de ce territoire situé en zone péri-urbaine. Tant que la première pierre n'est pas posée, tout est encore possible !

Pendant plus de deux heures et demie, nos trois invités ont tenu en haleine la quarantaine de personnes qui avait fait le déplacement. Et si nous n'avions pas coupé le micro, peut-être y serions-nous encore !

Un modèle économique prédateur 

Le premier intervenant, M. Jean-Albert Guieysse, géographe, a commencé son exposé en rappelant les arguments qui permettent de qualifier ce projet d' « inutile » : la morosité économique actuelle et l'offre déjà importante des commerces d'articles de sport (Orléans est déjà ceinturée par des grandes enseignes et il existe plein de petits commerces spécialisés dans le sport aussi bien en centre-ville qu'en périphérie) conduisent à penser que ce projet ne créera globalement pas d'emploi, et finalement, les acheteurs verront leurs possibilités de choix se réduire. En effet, des emplois seront détruits chez les concurrents, et les établissements des concurrents mis en faillite se transformeront en « friches commerciales ». 

Sylvain Boisseau, un de ses étudiants, a illustré ces propos à l'aide d'une carte. Mais tous les élus ne font pas les mêmes erreurs. Il nous a cité des exemples de territoires où les PLU, rédigés en intercommunalité, prennent véritablement en compte la place des espaces naturels et agricoles, comme la loi ALUR nouvellement votée l'encourage. D'ailleurs cette loi, si elle était passée quelques années plus tôt, aurait permis à cette zone classée depuis plus de neuf ans « 2AU », de redevenir une zone naturelle...

Ce projet anti-urbain (qui étale des périphéries au détriment des activités du centre-ville), en plus d'augmenter le trafic routier, accroît le territoire urbain mais au lieu d'acheter le foncier à 250€/m² le porteur de projet rafle 16 hectares à 2,40€/m². Or il est urgent d'arrêter de grignoter des terres agricoles, d'arrêter de les considérer comme des réserves quasi gratuites de foncier. Malheureusement, aucun débat n'a lieu sur le sujet, et le « zonage » continue à présider à l'étalement urbain: dans les terres agricoles, sont prises les emprises généreuses des zones d'habitat, d'emploi ( dont des centres commerciaux surdimensionnés), de transport. L'organisation de la ville doit être pensée globalement, les commerces de proximité sauvegardés. Pour M. Guieysse, ce secteur devrait être reclassée en zone agricole ou naturelle, et la zone urbanisée aujourd'hui (une carte des occupations du sol est présentée par l'auteur) doit s'adapter progressivement à l'augmentation de la population par densification sur place ( les architectes savent monter de tels projets de remodelage de la ville).

L'échange suivant cette intervention a porté sur le SCOT (schéma de cohérence territoriale) : si le PLU (plan local d'urbanisme) n'est pas encore intercommunal, le SCOT a été rédigé à l'échelle de l'AgglO et c'est lui qui a « autorisé » l'implantation d'une nouvelle zone commerciale sur ce secteur. Il a été adopté alors que DECATHLON avait déjà prospecté sur l'AgglO. Si ce porteur de projet n'avait pas sonné à la porte de l'AgglO, le SCOT aurait-il mentionné ce besoin d'une nouvelle zone commerciale ? Sylvain répond qu'effectivement, on peut sérieusement se poser la question. Là encore, la responsabilité de nos élus est énorme car d'autres agglomérations ont réussi à utiliser le SCOT pour construire un territoire « harmonieux ».

Une autre personne intervient pour faire part de ses craintes quant au devenir du site si l'enseigne phare (Decathlon) se retire. Elle pointe aussi le manque de démocratie sur la commune en rappelant que le comité de quartier n'avait même pas été informé de ce projet par la mairie. Là encore, le rôle des élus est pointé du doigt...

Le paysage réapproprié par les citoyens

C'est ensuite Agnès Sourisseau, paysagiste, qui intervient. Pour elle, la question primordiale est : quel est le statut de cette terre ? Sachant qu'on ne revient jamais en arrière, est-ce intéressant ou pas de la conserver ?

Elle rappelle que le paysage est fait par l'usage agricole. Qu'on a tous dans la tête l'image d'un paysage composite où se mêlent forêt, champ, friche, bois, village. Et qu'à la fois les gens veulent consommer des produits sains mais veulent aussi consommer des paysages ruraux. Ce qui peut conduire à la construction de lotissements perdus au milieu des champs qui participent à ce que Télérama avait qualifié de « France moche » (février 2011). Mais là encore ce n'est que le résultat de choix politiques...

L'étalement urbain a d'abord été pensé « de loin », puis la loi de décentralisation a permis de redonner des compétences localement. Mais les élus n'étaient pas forcément prêts : ils ont délégué à l'aménageur privé. Résultat : la croissance de l'artificialisation des terres est 4 fois plus rapide que celle de la démographie. C'est insoutenable !

Une prise de conscience a néanmoins eu lieu : pour lutter contre les « zones grises », les trames vertes et bleues ont fait leur apparition et sont pour cette intervenante de réels outils législatifs pour éviter l'étalement urbains. La Charte de l'environnement a la même valeur juridique que la déclaration des droits de l'Homme...Il faudrait voir notre territoire en inversant notre regard : le blanc d'une surface agricole devrait être vu comme un plein .

Mme Sourisseau conclut : si le dialogue est très difficile, il est néanmoins nécessaire pour œuvrer en commun vers l'aménagement d'un territoire durable. Les trames vertes et bleues peuvent être un support de concertation. Il existe aujourd'hui d'autres formes d'agricultures : l'agroforesterie, en remettant l'arbre dans le paysage, évite la « page blanche » mais n'a pas qu'une fonction décorative : sa fonction agricole est réelle et elle permet une meilleur gestion de l'eau. La PAC (2014/2020) et les fonds de financements européens commenceraient à aller dans ce sens. Mais il faut encore une volonté politique, ou à défaut un réveil citoyen. Les « ZONES A DEFENDRE » sont une réponse citoyenne, comme le « guerrilla gardening », les Incroyables Comestibles, les Vergers Urbains. Ces élans joyeux et énergiques, utopiques et créatifs permettent aux citoyens de s'approprier leur territoire, car bien souvent, les habitants se sont fait exclure de leur paysage. Pour finir, Mme Sourisseau nous invite à rééduquer notre regard pour insister sur la valeur du patrimoine naturel.

12 hectares de zones humides d'intérêt général

Le dernier intervenant, M. Laurent Richard, est pédologue. Cette spécialité s’intéresse au sol. Il a fait une visite du site menacé par l'implantation du « Village Oxylane » . D'après ses observations, ce site a les caractéristiques d'une zone humide sur au moins 12 hectares (on est largement au dessus des 3,5 hectares décrits dans l'enquête publique !). Il y a deux critères pour qualifier une zone humide : la présence de plantes caractéristiques et/ou la composition du sol. C'est la composition du sol qui ici l'a conduit à cette caractérisation.

Qu'est ce qu'une zone humide ? Pourquoi s'en préoccuper ? Tout simplement parce qu'elle a des fonctions bien particulières : elle ralentit les ruissellements en cas d'abat d'eau très violent. Elle joue également le rôle de filtre : dans cette zone urbaine agricole, une petite goutte d'eau transporte des molécules organiques et/ou des traitements chimiques. La zone humide permet de nettoyer cette goutte d'eau avant qu'elle ne continue son cycle dans la nature.

Si la zone humide disparaît, en cas d'abat d'eau important, une grande quantité d'eaux chargées de polluant va donc s'écouler sans aucun frein vers la Bionne et se jeter dans le canal d'Orléans. Or l'AgglO a décidé de mettre en valeur ce patrimoine, témoin du transport fluvial passé... Ce serait dommage qu'il soit transformé en cloaque ! En effet, en l'absence de circulation sur le canal, les eaux ainsi chargées vont se déposer et sédimenter... Il faut éviter ça !

M. Richard rappelle que si le paysage est un bien commun, c'est aussi un terrain privé, et que l’agriculteur qui est sur ce terrain est influencé par la politique agricole .Son travail, s'il est le fait d' une seule personne, est vu par tous. Avant, la question du paysage ne se posait pas : dans le village, tout le monde était concerné de près ou de loin par l'agriculture et partageait les mêmes valeurs traditionnelles. Aujourd'hui, les agriculteurs sont de moins en moins nombreux, les citadins de plus en plus nombreux et il n'y a pas (encore?) de pont entre eux, d'où cette situation conflictuelle. Sans parler des lobbies très puissants...

Une question porte ensuite sur le statut de la zone humide : Qu'est ce qu'on peut/veut y faire ? Pas de certitude mais des pistes de réflexion : l'agroforesterie en est une. Mais les citoyens doivent se réapproprier leur paysage. La solution doit être issue d'une réflexion commune avec les décideurs locaux. Or là nous assistons à la mise à disposition par ces décideurs d'un territoire à un groupe financier sans aucune concertation !

L'idée que cette zone doit revenir en zone agricole protégée est partagée par tous. La cité orléanaise a besoin de ce poumon, autant qu'elle a besoin de l'artère que représente la Loire.

Concernant les mesures compensatoires à la destruction de zones humides, elles seront impossibles à mettre en œuvre : il faudrait recréer une zone humide de la même étendue sur le même versant, ou d'une étendue deux fois plus grande ailleurs !

Une personne intervient pour savoir quelle est l'autorité au dessus du maire : si la législation va dans le sens de la sauvegarde de ces terres agricoles et naturelles, comment peut-il prendre aussi facilement des décisions qui auront l'effet inverse ? Le recours devant le tribunal administratif est une solution.

La dernière question nous permet de conclure : un monsieur nous demande ce que nous comptons faire à présent. Tout ce que nous avons entendu ce soir nous conforte dans les choix que nous avons décidé d'entreprendre :

  • la voie juridique : nous sommes en train de préparer, avec l'aide précieuse d'un juriste, un recours pour attaquer le PLU ; quand le dossier de « Village Oxylane » aura été approuvé par la CDAC (commission départementale d'aménagement commerciale, les chances qu'elle le refuse sont infinitésimales!), nous rédigerons un recours devant la CNAC ( commission nationale d'aménagement commerciale) ; une nouvelle enquête publique sur l'impact environnemental va avoir lieu : nous y participerons le plus nombreux possible, serons extrêmement vigilant sur la qualité des expertises et déposerons un nouveau recours devant le tribunal administratif le cas échéant ; enfin, le permis de construire est lui aussi attaquable.
     
  • pour que les citoyens se réapproprient leur paysage, nous organisons une première action de plantation sur le site le dimanche 15 juin, suivront ensuite l'entretien, les récoltes ...
     
  • nous allons participer à l'alterfête organisée par ATTAC 45 samedi 5 avril au château de Charbonnière, l'occasion de rencontrer d'autres associations comme « les Incroyables Comestibles », « Terres de Liens », … et d'essayer de construire ces fameux ponts à plusieurs.

  • nous préparons une grande manifestation le 17 mai dans le nord, entre le siège de l'Association familiale Mulliez à Roubaix et Néchin, avec la Ferme des Bouillons, le collectif pour le Triangle de Gonesse et La Voguette pour dire à plusieurs à ces bétonneurs de l'ombre « Zones commerciales au musée !!! Laissez vivre nos quartiers ! »
     

Et comme à chaque fin de réunion, les discussions se sont poursuivies autour d'un petit verre.

Bref, les carottes sont loin d'être cuites . Comme tu le vois, on ne lâche rien !

On espère que tu as bien noté les prochaines dates. Le mieux, c'est quand même que tu viennes vivre ça avec nous !

A très bientôt !
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